Mardi 6 février 2024, le Rapport du Développement Durable 2023 d’Est Ensemble a été présenté au Conseil de Territoire. Dans son analyse, Bruno Rebelle montre quels sont les points saillants et les limites de ce document.
Au-delà du caractère obligatoire et donc nécessairement formel que constitue la publication du rapport annuel de développement durable, cet exercice reste intéressant pour souligner les actions réalisées et mesurer le chemin qui reste à parcourir pour répondre vraiment aux enjeux auxquels notre territoire et ses habitantes et habitants sont confronté·es.
Si nous saluons l’expression, je cite, « d’une volonté politique collective ambitieuse et affirmée depuis plusieurs années par Est Ensemble qui place le climat et la justice sociale au cœur de son action et cherche à démontrer qu’il est possible de transformer un territoire urbain, dense et populaire pour qu’il puisse faire face aux crises énergétiques, climatiques, sociales et démocratiques de notre temps », nous devons aussi nous interroger sur l’impact effectif des très nombreuses actions engagées, et leur effet global en terme de « transformation du territoire ».
A n’en point douter l’installation de la régie publique de l’eau, l’évolution du marché de collecte des déchets, ou l’adoption de la charte de l’agriculture urbaine constituent des pièces structurantes de cette transformation souhaitée.
Le choix assumé d’un pilotage transverse et d’une mobilisation collective de l’ensemble des directions de notre Établissement Public est aussi une option satisfaisante au sens où elle rappelle que la transformation recherchée nécessite le passage à l’action de toute notre administration et la traduction de cette implication dans toutes nos politiques. Il faut cependant dans cet effort de transversalité éviter deux écueils. D’une part la dilution des responsabilités qui pourrait nuire à l’efficacité collective. D’autre part, l’apposition systématique à presque toute les actions d’une étiquette « développement durable » en ignorant parfois les incohérences que génère cette systématisation ou le caractère anecdotique des actions ainsi étiquetées, masquant parfois le manque de résultats sur des leviers plus essentiels.
Au titre des anecdotes, nous pouvons nous interroger sur l’effet du « développement de temps dédiés aux jeux vidéo dans les salles de cinéma » (page 31) en matière de transformation du territoire vers plus de soutenabilité, alors même que le rapport ne nous donne que peu d’indications concrètes des effets de nos équipements culturels que ce soit en terme d’impacts sociaux (par exemple, via l’intensité et la diversité de la fréquentation) ou d’évolution des impacts environnementaux de ces équipements.
En matière de cohérence, peut-on vraiment faire apparaître la fermeture des piscines en fin d’année comme un effort dicté par la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations énergétiques de ces équipements, quand la raison première de cette décision est un souci d’économie budgétaire en réponse à la flambée des prix de l’énergie, décision tout à fait louable par ailleurs.
Nous reconnaissons que cet effort de transversalité, est très positif quand il contribue à mieux intégrer les enjeux économiques dans la dynamique de transformation souhaitées. Ainsi, nous saluons l’implantation de nombreuses structures de l’économie sociale et solidaire autour de l’Usine des transitions, implantations saluées à l’occasion des 7ème Défis urbains en novembre dernier, l’installation des Ateliers Diderot : nouveau tiers-lieu doté d’une pépinière et d’un hôtel d’entreprise pour des artisans et TPE manufacturières spécialisés dans l’écoconstruction, les mobilités durables, le projet de Pôle d’excellence pour l’économie circulaire et solidaire (PEECS) et la poursuite et la possible extension de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD).
Nous ne pouvons ici passer en revue toutes les actions mentionnées dans ce rapport. Aussi, il nous semble plus intéressant de tenter de prendre la hauteur pour commenter de manière plus globale ce document. Comme mentionné dans l’introduction du document, ce rapport vise à s’assurer que les actions menées sont à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux, d’évaluer le niveau de maturité de la collectivité dans la mise en œuvre de ses objectifs et d’identifier les améliorations pour l’année à venir.
Malheureusement, ce rapport ne nous permet pas de vérifier l’adéquation entre nos politiques et les enjeux à traiter. Nous manquons singulièrement de données objectivées pour opérer cette vérification.
Certes, l’élaboration d’un budget climat comme outil d’aide à la décision budgétaire est tout à fait remarquable. Cette mise en place, répond aux engagements de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) et aux objectifs du PCAET. Le rapport signale que sur les 235 M€ de dépenses analysées sur le budget 2022, seules 15% sont très favorables ou plutôt favorables aux enjeux climatiques, 5 % sont réputés défavorables et 39% neutres… Mais quelle qualification faut-il attribué au 41% restant, représentant près de 100 M€ ? Et surtout, qu’elles sont les mesures prises pour que notre budget ne compte bientôt que des dépendances favorables aux enjeux climatiques ?
Nous voulons ici saluer l’honnêteté des rédactrices et rédacteurs qui soulignent qu’Est Ensemble dispose d’une marge de manœuvre importante pour améliorer l’évaluation des politiques publiques en passant d’un dispositif d’évaluation a priori à un processus ex-post.
Nous invitons les services à redoubler les efforts en ce sens de façon à mesurer aussi précisément que possible l’impact effectif de nos actions. Ces indicateurs sont d’ailleurs déjà disponibles dans certains secteurs. Nous savons que nous sommes encore loin de l’objectif de 10m2 d’espace vert par habitant. Nous savons aussi que nous sommes encore très loin des 4 000 logements qui devraient être rénovés chaque année pour tenir les ambitions du PCAET. Mais, nous n’avons pas d’indication dans ce rapport de l’évolution de la consommation d’énergie par habitant ; donnée qui pourtant nous renseignerait précisément sur les effets de nos politiques et les secteurs sur lesquels nous devons redoubler d’attention.
Rappelons-nous l’adage : « Ce que l’on ne compte pas, ne compte pas ! »
De fait, la lecture de ce rapport nous laisse penser que notre collectivité est encore loin de répondre aux enjeux environnementaux et sociaux que revendique son aspiration de justice climatique et sociale.